- Guillaume Tardé
La liberté d'expression ou le droit d'avoir tort
Si la liberté est précieuse c’est qu’elle n’est jamais acquise, ni même stable. Elle souffre de l’équilibre entre sécurité et liberté, qui souvent penche du côté opposé. C’est un concept dont les frontières sont floues et mouvantes mais qu’il convient de surveiller sans cesse, sans jamais baisser la garde. La liberté a plusieurs visages et il en est un plus humain, plus vivant et plus vulnérable que les autres : la liberté d’expression.

La liberté est un concept de l’Homme pour l’Homme, qui lui permet de poser des règles selon la société dans laquelle il s’établit et de se définir comme humanité. Le loup par exemple, ne se pose en effet pas la question de sa liberté et n’éprouve nul besoin de s’en priver ou d’en priver les autres, car le concept même de liberté n’a de sens que lorsque l’on a conscience de sa fragilité. Début 2020 en France, la liberté de mouvement paraissait acquise mais n’a dévoilé toute sa valeur que pendant le confinement et les périodes de couvre-feu successives.
Cependant, parmi toutes les libertés, il en est une plus humaine que les autres, puisque définissant l’humanité : la liberté d’expression, de parole et d’opinion.
La liberté d’exprimer une opinion est l’une des richesses les plus précieuses de l’Homme, car il est seul détenteur de cette capacité d’expression si précise. Nos langues si variées et nombreuses soient-elles, permettent aux Hommes d’échanger, de se comprendre et de s’établir en sociétés. À l’échelle de l’individu, cette liberté de s’exprimer fait partie intégrante de son humanité puisqu’elle permet l’apprentissage, première marche de son processus d’évolution.
Pour John Stuart Mill dans De la liberté, interdire l’expression d’une opinion, c’est voler l’humanité même de son détenteur et l’humanité dans sa société. Réduire au silence l’expression d’une opinion c’est empêcher au détenteur et aux détracteurs d’accéder à l’évolution par l’apprentissage. Si l’opinion est vraie, alors interdire son expression c’est interdire que l’opinion juste remplace l’erreur. Si l’opinion est fausse, l’interdire, c’est se priver d’une vision plus claire et plus détaillée de la vérité qui résulte de la confrontation avec l’erreur. Refuser qu’un point de vue soit exprimé, c’est considérer que l’opinion déjà établie constitue une vérité absolue, et s’interdire de croire que l’Homme n’est pas infaillible. C’est pourtant bien cela l’humanité : l’imperfection qui se corrige par l’échange entre les Hommes.
Si la liberté d’expression est synonyme de la liberté de se tromper, si la liberté d’expression c’est accepter de remettre en question ses certitudes, si la liberté d’expression est celle de la liberté d’apprendre, si la liberté d’expression est le premier pilier de la tolérance, alors il semble plus que jamais fondamental de protéger cette part de notre humanité.
Dans un récent documentaire diffusé sur France 5 (à retrouver ici) qui retrace l’histoire de Charlie Hebdo jusqu’au procès des attentats de 2015, la liberté d’expression est exposée dans toute sa fragilité. Ce film est une frise chronologique du combat pour cette liberté d’écrire, de dessiner et de dénoncer. Le journal a toujours caricaturé mais année après année, la liberté s’est faite moins populaire, car derrière elle plane le spectre d’attaques potentielles. Jacques Chirac ira jusqu’à dénoncer les caricatures prenant le parti, discutable par ailleurs, de la sécurité plutôt que celui de la liberté. Il cède alors à la peur, réflexe parfois animal quand la bataille à mener est celle de la défense des droits des Hommes. En effet, la question n’est pas celle d’aimer ou non les caricatures. Elle n’est pas non plus celle d’apprécier ou non une ligne éditoriale. La liberté d’expression c’est avant tout celle de choisir ce que l’on veut lire, regarder, écouter et elle ne doit souffrir d’aucune exception (dans le cadre du droit), car chaque individualité peut être offensée par un sujet différent et donc représenter une potentielle exception. Le début d’une censure, aussi infime soit elle, est une fin de cette liberté.
Les attentats de Charlie Hebdo contre la liberté d’expression, sont le résultat d’idéologies trop faibles pour admettre d’avoir tort, trop inhumaines pour accepter d’être faillibles, trop noires pour laisser percer la lumière de la tolérance.
À nous, jeunes générations qui considérons cette liberté d’expression acquise dans un monde de réseaux sociaux, n’oublions pas que la beauté des droits et des libertés résident dans leur fragilité, et continuons à les défendre.
Continuons tous d’avoir tort, c’est là, notre plus belle part d’humanité !